L’idée d’exploiter les icebergs pour produire de l’eau douce n’est
pas nouvelle. Elle remonte aux projets de l’unité de recherche Snow, Ice
and Permafrost Research Establishment, Corps of Engineers de l’armée
américaine dans les années 1950. Mais c’est dans les années 1970 qu’elle
prendra tout son essor, notamment sous l’influence de Paul-Emile Victor
– le célèbre explorateur polaire français – de son ami et ingénieur
Arts & Métiers Georges Mougin, et de leur rencontre avec le prince
saoudien Mohamed al-Fayçal.
C’est après avoir lu dans la presse un article relatant la tentative
d’un capitaine de remorquer un petit iceberg avec son bateau que le
prince imagine l’impensable. Des icebergs pour le désert, l’idée est
née. Désireux de trouver des solutions aux carences en eau douce de sa
région, al Fayçal visualise déjà la scène : un iceberg, remorqué par la
voie maritime jusqu’aux larges de ses côtes, pour servir de réservoir
d’eau naturel. En 1976, il finance la création de la société Iceberg
Transport International Ltd, dont Georges Mougin assurera la direction
technique.
Ensemble, en 1977, ils organisent le premier congrès international sur
l’utilisation des icebergs, qui réunit à la Iowa State University, aux
États-Unis, quelque 200 participants dont des ingénieurs, des
scientifiques et des militaires. Peu ont encore besoin de faire la
preuve de leur expertise dans leur domaine et pourtant, les idées
évoquées pour exploiter les icebergs semblent toutes plus folles les
unes que les autres. Remorquer un iceberg ? Quel bateau présente alors
une puissance de traction suffisante ? D’autres imaginent greffer sur
les icebergs des systèmes de propulsion pour les transformer en
véritables navires de glace, autopropulsés et dirigeables. Des moteurs
standards ? Certainement pas. Des systèmes de roues à aubes ? Pourquoi
pas, mais quelque "inventeurs fous" vont jusqu’à imaginer des systèmes
osmotiques, utilisant la différence de salinité entre l’eau de mer et
l’eau douce qui fond de l’iceberg pour créer de l’énergie, tandis que
d’autres leur préfèrent des systèmes thermiques reposant sur la
différence de température entre l’eau fondue et l’eau de mer. Mais qu’en
est-il des risques de fonte pendant le trajet ? Comment les réduire ?
En emballant l’iceberg ? Difficile d’imaginer un sac isotherme de la
taille d’un iceberg, mais qui sait ce que la technologie peut réserver.
D’autres reviennent à la base même du projet et soulignent notre
méconnaissance des icebergs, de leur nature, des risques de fracture
qu’ils présentent. Et s’il fallait commencer par là : quel iceberg
sélectionner ? De quelle taille ? De quelle forme ? À quel endroit le
récupérer ? À quelle date ? Comment envisager les conditions climatiques
pendant le transport ? Comme pour l’agriculture, il existe des saisons
pour la récolte des icebergs, nous annoncent les glaciologues. Si la
conférence génère un débordement d’enthousiasme, elle devient aussi le
lieu de tous les doutes. Chacun y apporte ses idées, qui reposent
essentiellement sur un mélange de théorie et d’intuition. Les
problématiques techniques en jeu sont complexes et à la croisée des
disciplines, et les expérimentations nécessitent des budgets importants
et des technologies qui n’existent pas encore. Quel que soit le sujet,
le consensus entre experts est difficile à trouver. Dans les années qui
s’ensuivirent, l’exaltation s’est alors doucement estompée et les
brillants esprits se sont réorientés vers d’autres projets. Plus
réalistes, moins polémiques, moins coûteux.
En 2009 Dassault Systèmes a proposé à Georges Mougin et François
Mauviel, porteurs du projet d’exploitation d’icebergs de réexaminer le
projet à l’aide des technologies de simulation et des mondes virtuels
3D. Peut-être les outils qui leurs manquaient…
Rêve de glace… ou à vous glacer le sang.
Le documentaire sera diffusé en février sur France 3 dans l’émission Thalassa.
Rêve de glace
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